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UNE STRATÉGIE DE LUTTE CONTRE LES MESURES ACTIVES DANS LA SPHÈRE PUBLIQUE

Richard Martin, Président, Académie canadienne de leadership et développement du capital humain

La situation

Dans nos sociétés, les individus consacrent beaucoup de temps et de ressources à regarder ou à lire des médias et des contenus en ligne. Nous ne reviendrons pas à l’époque où les choix télévisuels étaient limités et où il n’existait que quelques sources d’information (inter)nationales. Chez les jeunes générations, l’ampleur de la participation en ligne est stupéfiante par rapport aux générations plus âgées. Cela s’explique par le fait que les jeunes ne se fient pas aux sources d’information traditionnelles, “grand public”. Ils vivent dans le monde éphémère et évanescent des médias sociaux et des plateformes de contenu d’origine collective, dont la provenance et l’intention sont souvent douteuses.

Il en résulte que les jeunes sont inondés d’idées, d’idéologies et d’influences concurrentes ou contradictoires par le biais des médias sociaux, amplifiées par des influenceurs à l’association et aux intentions douteuses, des ouï-dire, des établissements d’enseignement, des organisations de la société civile, de la publicité et des différents modes de vie. Ces messages ne sont pas nécessairement (bien que beaucoup le soient) négatifs ou corrosifs pour les valeurs civiques fondamentales, bien qu’une partie importante d’entre eux offrent un récit qui ne soutient pas ou remet en question nos démocraties stables, sûres, libérales et prospères. Certains canaux et sources d’information favorisent le désordre social et la subversion dans le but de saper la résilience, la défense, les valeurs et les objectifs de l’Occident.

Les principales plateformes de médias sociaux sont les principaux (mais non les seuls) canaux permettant la promotion d’idées et de concepts qui peuvent éroder l’engagement à créer et à maintenir des sociétés pacifiques et sûres qui valorisent la liberté individuelle, la démocratie, les droits de l’homme et l’État de droit et qui sous-tendent les sociétés les plus prospères de toute l’histoire. Je crois que ces valeurs méritent d’être soutenues, entretenues et, au besoin, défendues. Cela dit, la censure et le contrôle centralisé de l’information, qu’elle soit publique ou privée, ne sont pas la solution, car ils vont à l’encontre des valeurs fondamentales de l’ordre libre, démocratique, fondé sur les règles et les droits.

La menace

Des puissances et des forces hostiles se livrent sans relâche à des opérations d’information pour saper le moral, la résilience et la détermination des nations occidentales et de leurs populations. La sensibilisation du public à cette menace et à ses effets s’est accrue depuis l’invasion de l’Ukraine le 24 février 2022, mais l’accent est mis sur la Russie, laissant d’autres acteurs étatiques et parrainés par l’État opérer relativement sans entrave sous le radar du public, des politiciens et des entreprises. D’autre part, cette prise de conscience est floue, limitée et non spécifique. Les individus et les organisations comprennent mal les intentions hostiles, les stratégies, les approches opérationnelles et les techniques, tactiques et procédures spécifiques utilisées pour atteindre des objectifs hostiles.

La menace va bien au-delà des cyberattaques, de la désinformation et de la mauvaise orientation. En fait, je prétends que nous sommes entrés dans une nouvelle phase de la guerre de l’information que j’appelle “guerre épistémologique”. L’objectif de la guerre épistémologique n’est pas seulement d’attaquer les nations et leurs populations avec des fausses informations et de la propagande trompeuses ou déroutantes qui obscurcissent plus qu’elles n’éclairent. Elle va beaucoup plus loin en lançant un assaut à grande échelle contre les facultés critiques et le jugement des nations, des populations et des dirigeants.

Les techniques sont nombreuses, mais elles visent principalement à éroder l’esprit critique en submergeant la sphère publique, en particulier par le biais des canaux et des plateformes des médias sociaux, d’informations fausses, douteuses ou contradictoires présentées sous forme d’extraits sonores, d’images, de clips vidéo et de “mèmes” Internet qui exploitent et renforcent les biais et les paralogismes cognitifs bien connus. Il s’agit notamment des sophismes non sequitur et tu quoque, des heuristiques psychologiques telles que l’effet de primauté, l’effet d’entraînement et d’autres trop nombreux pour être énumérés. L’objectif apparent est d’éroder la capacité des individus à juger ce qui est vrai et faux, qui et quoi croire, et qui soutenir. Il en résulte une attitude cynique et nihiliste à l’égard des faits, des intentions et des objectifs présentés par et pour les puissances et les forces en présence, et cela sape le soutien à une défense forte contre les intentions et les activités hostiles.

La stratégie

Les efforts visant à renforcer la résilience de la société, en particulier pour les générations futures, dépendent de la capacité à fournir des outils concrets pouvant être utilisés rapidement et efficacement pour résister, contrer et évaluer les affirmations, les preuves, les déclarations et les arguments qui constituent la base de la désinformation, de la propagande et d’autres activités d’information hostiles. Cela exige une approche rationnelle et systématique du problème, fondée sur des résultats, des produits et des méthodes clairs.

La clé d’un succès durable et à long terme dans la construction de la résistance sociétale est de se concentrer sur la génération montante de leaders actuels et potentiels qui deviendront des influenceurs, des formateurs d’opinion et des décideurs dans les domaines de la politique et de l’administration publiques, de la diplomatie, des communications, des affaires, de la finance, de la sécurité publique et de la profession des armes.

Le centre de gravité de cet effort est de développer et de diffuser une boîte à outils intellectuelle et psychologique à l’intention des jeunes leaders actuels et futurs, afin d’étayer les analyses et évaluations individuelles et collectives concernant la solidité logique et la validité des diverses affirmations, preuves, propositions, rhétorique et arguments qui sont insérés et diffusés dans le domaine public.

La meilleure façon d’équiper nos jeunes pour qu’ils résistent aux attaques féroces de la guerre de l’information et de la guerre épistémologique est de les aider à reconnaître les différents types d’activités, en vue de les reformuler selon des principes logiques pour évaluer leur probabilité et leur validité globale. De cette manière, les leaders de la génération montante seront mieux équipés pour appliquer leur propre jugement par le biais de processus et de méthodes de raisonnement éprouvés, résilients et invariants dans tous les domaines, sujets, plateformes et contenus.

© Richard Martin